Ebola, le mot qui me cause des palpitations

Article : Ebola, le mot qui me cause des palpitations
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13 février 2021

Ebola, le mot qui me cause des palpitations

Dès que j’entends le mot Ebola, je me rappelle encore de ces moments douloureux qu’a traversé mon pays, la Guinée, en 2014 et 2015. Les journées les plus longues de ma vie jusque-là.

C’était un matin de 25 février 2015. J’allais alors en formation pour faire partie des jeunes qui ripostent contre le virus Ebola qui sévit en République de Guinée depuis maintenant plusieurs mois. Après la formation des volontaires à la DSVCO, je passe un petit temps dans les équipes de gestion EDS pour ensuite rejoindre les équipes d’investigations, qui manquent d’agents. Là-bas, nous sommes en charge des investigations lors de décès communautaires. Nous devons aussi faire le prélèvement des échantillons et les suivre dans de bonnes conditions jusqu’aux laboratoires de virologies pour la zone Conakry.

Je reste dans ces effectifs jusqu’à ce que la DCS demande de remplacer le point focal qui selon eux ne répond pas à tout leurs critères. Là, je suis avec un Mohamed Lamarana, un ami avec lequel j’étais dans les équipes d’investigations.

Un jour, un mercredi soir dans les environs de 16h30, je vis la première plus longue journée de ma vie, avant une autre qui fera l’objet d’un autre billet.

Il est 16 heures, aucune alerte ne tombe plus, j’informe le chef des équipes qui m’ordonne de rejoindre la base opérationnelle. J’exécute donc son ordre car moi-même très pressé de rejoindre Lama et Henry qui sont  au podha d’ALBANIE. Arrivée à la base opérationnelle, j’entends la sonnerie de ma flotte. Je décroche, de l’autre côté c’est le président de la CRG : «Allô Tidiane ! Va vite a Sangoyah, il y a une alerte. Gère-la avant la fin de l’heure ». Dynamique comme toujours, j’informe Sidibé. Il est le chef des équipes,  mais le bon ami des cadavres. S’il ne voit pas un corps dans la journée, il stresse, pète les plombs et crie sur tout ce qui bouge. Je parie qu’il fait des prières nocturnes pour qu’il y est beaucoup plus de morts le lendemain.

Mais bon revenons à ma journée de 48 heures. Sidibé informé, il me délègue la tâche, avec 2 autres volontaires pour exécuter la mission du président. Nous bougeons sans rien attendre car mon véhicule a un Kit EDS d’urgence (un Kits qui me permet de gérer au moins un cadavre).

Arrivé sur les lieux, un monde fou nous attend, des regards et murmures venaient de tous les côtés. Etant habitué, je descends et me rends dans la famille endeuillée pour les investigations.  Tout va bien jusqu’au moment où je parle des procédures EDS, qui sont non-négociables.

Moi lors de la formation en port des Personal Protection Equipements

Pour un premier temps, parents et voisins du défunt, tous semblent être dans le «même monde» que moi. Ils essayent de me faire comprendre que, le décès n’a aucun lien épidémiologique (chose qui est vraie, en tout cas en se basant sur l’investigation). Ils me demandent donc de leur faire cette faveur de ne pas passer par un EDS, et me demandent d’appeler mes supérieurs pour dire que l’EDS est fait.

C’est là le début de tout mon calvaire, mon «non papa je suis désolé». Maintenant tout le monde fait sortir ce qu’il a comme «arme», pour me contraindre d’exécuter leur ordre. Je commence à transpirer, bégayer, à parler de tout et de rien, jusqu’à ce quelqu’un sorte une machette contre moi en disant aux autres de cadenasser la porte.

Après peut-être 15 min d’insultes, de menaces et une seule paire de gifle très bien sonnée, une idée me vient en tête, celle de coopérer. Je dis (avec une voix très maigre de quelqu’un qu’on attrape avec femme de policier) : « je suis d’accord, vous pouvez gérer le corps, mais pour l’appel il faudra me faire accompagner par quelqu’un dans le véhicule car le téléphone s’y trouve». Intelligent n’est-ce pas ?

Les gros mots continuent leur fête, mais l’un d’eux (dit il le président des guéris d’Ebola) les calme et m’accompagne, mais sans refermer la porte sur eux. Dehors, un autre groupe m’attend, mais mains nues, je suis avec mon cortège.  Le vent qui me croise, me donne l’impression d’être au paradis, car je crois avoir fini avec «l’enfer », grosse erreur !

Dans le véhicule, un «chaud-fer » que mon ami et moi avons surnommé «Ah mais Non » à cause de sa lenteur et son manque de réactivité face aux dangers, m’attend. Je cris «Maitre Bangoura, où est le téléphone ?». Il répond, bien que voyant la foule avec moi : «je ne l’ai pas, regarde tes poches ».

Lui et moi continuons ce jeu, jusqu’à ce que je monte dans le véhicule. C’est là que moi aussi je me défoule : « N’allume pas ton véhicule, ils vont nous tuer tous comme tu es un fou.» On dit souvent Tèpperai ittan ka bonni (pieds enlève moi au mauvais endroit), les jeunes continuent à s’approcher avec des injures. Soudain l’un d’eux lance une pierre, c’est là que mon Chaud-fer comprend sur quelle planète nous sommes et nous fait quitter les lieux.

Moi à la DCS

Nous revenons directement à la base où SIDIBE, l’ami des MIC nous attends. Je lui explique ma mésaventure mais malgré tout, il décide de s’y rendre encore avec moi. Mais cette fois ci à deux et un bon chauffeur.  

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